Interview de M. Christian Jaquillard



5 fois Champion Suisse des Rallyes, 1988, 1989, 1994, 2002 et 2003


    En quelques mots dites-nous qui vous êtes ?
Je suis une personne qui est née, je le peux dire, d'une passion de l'automobile.
J'ai fait un apprentissage de mécanicien de précision à l'Ecole des Métiers. J'ai ensuite bifurqué sur l'automobile et j'ai fait très rapidement mes armes dans certaines marques et ensuite je me suis installé à mon compte.
Je suis né en 1955, je suis marié et j'ai 2 filles, dont une Stéphanie travaille avec mon épouse Christiane et moi au garage, et la seconde, Sandra a fait les Beaux-Arts. Elles sont âgées de 30 et 27 ans. Je suis une personne très famille.

Vous êtes très connu dans le milieu de la course automobile, comment a débuté votre passion ?
Elle a débuté en fait quand j'étais tout gamin, je dirais vers l'âge de 5ans. J'avais un grand-père qui aimait beaucoup les voitures et j'étais tout le temps avec lui. Tout le temps sur ses genoux et c'est moi qui tenais le volant. Avec mon grand-père j'ai fait une des premières épreuves spéciales de rallye, épreuve que j'ai faite après en course, mais je l'ai faite au volant de sa 2CV et j'étais assis sur ses genoux.
Je dirais que tout tourne autour de mon grand-père, car il était postier et j'allais faire la poste avec lui.
Quand j'avais 8-9 ans, pendant qu'il buvait 3dl au bistro de Bugnaux, je lui ai piqué sa voiture pour aller faire 2-3 escapades. Je me suis fait chopper par les flics une fois (rires). Quand j'avais 10-12 ans,le soir, la voiture était dans son garage, je la poussais dehors, il y avait une légère pente et je partais faire des randonnées. Ça a vraiment démarré là, mais surtout, j'allais déjà très vite. Je me rappelle quand j'avais 12-13 ans, je roulais comme un fou sur ces routes, à fond et je n'avais peur de rien. Il ne m'est jamais rien arrivé d'ailleurs.
Ensuite la carrière sportive. Elle a débuté à 15 ans, j'avais été au circuit automobiles de Lignières avec des copains. J'étais censé que regarder! Mais j'avais un copain qui avait une voiture assez sportive. Il me l'avait prêtée pour faire 3-4 tours et m'avait dit, cet après-midi c'est toi qui mets le casque et tu prends ma place. Donc en fait j'ai fait la course à sa place et j'ai gagné cette épreuve devant certains grands pilotes de l'écurie vaudoise. Là j'ai pu me comparer tout de suite aux autres. Beaucoup de gens m'ont dit que j'avais un bon coup de volant et c'est parti un peu comme ça, un coup de bol quoi. Mais j'étais passionné et vraiment fondu de vitesse. Ce fut le détonateur.

Après votre succès de 2003, comment débutez-vous la saison 2004 ?
C'est une question assez difficile à répondre, car la Suisse est un pays qui change tout le temps d'avis au niveau des règlements. Le sport automobile n'est pas stable en Suisse et là ils viennent encore de changer les règles du jeu (agassé)! La voiture avec laquelle on a roulé l'année passée ne marque plus de point en championnat suisse cette année, donc ça ne sert à rien de partir avec cette voiture. D'ailleurs mes sponsors et ceux qui m'aident ne sont pas d'accord d'aller rouler pour n'avoir aucune retombée médiatique. Ma voiture est vendue et comme les groupes qui sont prévus pour cette année ne m'intéressent pas du tout, rien n'est décidé. Le championnat 2004,c'est des petites voitures 2 roues motrices, traction avant, c'est de voitures qui coûtent très très cher à l'entretien, qui ne sont pas fiables du tout. Je trouve complètement ridicule les positions prisent par l'Automobile Club de Suisse. Dans le sens qu'on est un petit pays et qu'on n'est même pas foutu d'avoir les mêmes règles que l'Allemagne, l'Italie et la France. Nous avons besoin de ces pays pour faire notre championnat. En Suisse nous n'avons pas les possibilités de faire tout le championnat,à cause des autorisations, donc on a besoin de la France et de l'Italie et nous n'avons pas les mêmes règlements. Donc là je pense qu'il faut que l'on se pose des questions.

Durant votre carrière sportive, vous avez conduit plusieurs types de voitures, y a-t-il eu une grande évolution dans la technique automobile ?
Il y a une grande évolution, surtout au niveau des suspensions, de l'électronique et les pneumatiques. C'est les trois facteurs principaux. La plus grande évolution est venue dans la qualité des suspensions, qui sont gérées hydrauliquement par des pressions séparées, cela a donc amélioré le confort de la voiture au niveau du rallye. En tout cas, dans les bosses, cela absorbe beaucoup mieux, on peut passer beaucoup plus vite.
L'électronique a amené beaucoup de choses au niveau des puissances moteur, gestion des moteurs et gestion des boîtes à vitesses, donc, ça fait aller plus vite une voiture.
Les pneumatiques se sont aussi améliorés, mais peut-être un peu moins que les deux autres facteurs.
L'évolution a été trop importante, cela est devenu trop onéreux au niveau de l'électronique.
Je peux dire que l'évolution a été énorme en 20 ans, c'est ce que j'ai pu remarquer en tout cas. Mais le principal problème c'est le coût. Une voiture de rallye est devenue, pratiquement 10 fois plus chère depuis le début de ma carrière. C'est incroyable.

Et dans le style de conduite, il y a aussi eu une évolution ?
Disons que non, je pense que la base de mon pilotage est toujours restée plus au moins la même. Je suis un pilote qui est très très fin, très très précis. Je touche du bois. Je suis un des seuls pilotes de Suisse à avoir remporter 5 titres de champion Suisse sans avoir détruit une voiture. Je n'ai jamais fait de tonneaux non plus, cela veut dire que j'ai une bonne maîtrise. La seule chose qui a évolué, par rapport à mes débuts, c'est peut-être, et cela vient avec l'expérience: la prise de notes avec le navigateur, la confiance et surtout l'instinct de ce que l'on doit mettre comme pneus.
Le pilotage, je ne pense pas qu'il ait beaucoup changé, je suis devenu peut-être un petit peu plus cool dans certains endroits et je me suis amélioré dans d'autres. J'ai assuré un peu plus oú il y a beaucoup de dangers, et j'ai été plus vite ailleurs parce que je me suis améliorer par l'expérience. Autrement je pense que mon style est rester le même.
Depuis quand avez-vous votre épouse comme co-pilote ?
Depuis la première année, en 1979, c'était le rallye de Neuchâtel et elle a fait toute la carrière avec moi. On a fait les 5 titres de champion Suisse ensemble.
Nous avons tout partagé, notre vie amoureuse, sportive, professionnelle. Mon épouse s'occupe du garage au niveau de la gestion, de la responsabilité du personnel. On est vraiment, on peut le dire, un couple 24h/24.
La course automobile est un travail d'équipe, comment se compose votre staff ?
Je pense que nous sommes un des plus petits staffs européens. Si l'on prend prix, qualité, performances, je suppose que l'on est devant Schumacher.
Je n'ai jamais eu de grosse équipe, j'ai toujours eu un peu les mêmes copains, les mêmes personnes qui nous aidaient, Cela veut donc dir: moi et mon épouse dans la voiture, ma fille Sandra, qui fait aussi de la compétition automobile en circuit, qui a le rôle d'ouvreur, c'est à dire qu'elle passe 1h avant nous avec les notes de mon épouse pour corriger éventuellement des virages qui auraient changés: glace, pluie, flaques d'eau, terre ou graviers, huile, enfin tout ce qui peut se passer dans des routes forestières.
J'ai 3 mécaniciens qui font partie de mon équipe d'amis et de passionnés, mais qui n'ont rien à voir avec mon garage.
Souvent, je prenais un ingénieur ou un technicien qui connaissant bien la voiture de l'usine, qui venait en fait, nous donner un coup de main avec les pièces détachées dans un 2ème fourgon, pour éviter d'acheter des pièces de réserves qui nous serviraient à rien. En louant les services de l'usine, avec cet ingénieur, ça me permettait d'avoir une sécurité supérieure, et en fait, je payais que ce que j'utilisais comme pièces. C'est vraiment un petit staff. On est en général 8 à 10 personnes, ça dépend les rallyes, mais par contre si l'on prend mes concurrents suisses, ils sont plus facilement le double.
Moi je n'aime pas les parasites non plus, ça coûte trop cher, on ne peut pas se permettre d'avoir trop de monde car les déplacements, les hôtels, la nourriture, les péages, ça coûte. C'est clair cela m'aurait peut-être libéré de certaines tâches ou libéré Christiane, mais bon, on est resté petit, on est resté des gens qui n'ont pas la tête qui a gonflé, on est resté simple.

Pourquoi portez-vous le surnom de "Jonquille" ?
Ça doit dater de mon grand-père qui était employé communal à Perroy et qui mettait des jonquilles un peu partout, devant sa maison, c'était plein de jonquilles. Je pense qu'il y a cette association : Jaquillard, Jonquille. C'est un sobriquet que j'ai eu depuis tout gamin. Même ma fille, Sandra, on lui dit facilement la "petite Jonquille". C'est aussi une couleur que j'adore, j'aime bien le jaune et le vert, je trouve que c'est une belle association de couleurs. J'ai toujours eu mes voitures jaunes et vertes. Je suis connu, je peux le dire dans l'Europe entière avec la couleur de mes voitures, donc je n'ai pas besoin de me présenter, suivant oú je vais, ils savent que cette voiture là c'est Jonquille.


C'est fou tout le monde m'a appelé comme ça. J'ai fait pas mal de football aussi quand j'étais jeune, j'étais assez bon, et tous m'appelaient Jonquille. C'est un sobriquet assez sympa.
Ma maman avait un petit café-restaurant à Tartegnin et la cagnotte s'appelait aussi La Jonquille.

Comment a débuté votre carrière professionnelle ?
Au départ, quand j'étais gamin, j'avais envie d'être pilote d'essais, donc pas de course, mais pilote d'essai dans une usine, c'était mon rêve. Les gens fabriquaient des voitures, moi je montais dedans, je les essayais et je disais ce qui n'allait pas, ça c'était mon rêve.
Je voulais être ingénieur en mécanique mais la vie a tourné autrement, dans le sens, que j'ai connu Christiane que l'on s'est marié à 18 ans, qu'on a eu tout de suite Stéphanie. Donc j'étais père de famille en étant à l'Ecole des Métiers et sans un rond. Ça a changé en fait mes envies, j'ai dû prendre des responsabilités. J'ai fait quelques stages dans des garages pour apprendre très rapidement la mécanique, avoir un plus gros bagage mais je ne me sentais pas très bien dans la peau d'un employé. Je préférais gérer mes affaires moi-même, faire à ma façon le travail.
J'ai trouvé rapidement une solution avec un petit box que j'avais à Tartegnin, dans la maison familiale. J'ai démarré comme ça, j'étais père de famille jeune et je me suis mis à mon compte jeune. Je travaillais même la nuit, je faisais les 3 x 8 heures, j'étais Service Man sur l'autoroute pour faire un petit peu d'argent, pour assurer le coût de la famille, les autres heures je les utilisais pour dormir et pour travailler dans mon petit garage et démarrer mon affaire. Après une année et demie à bosser comme un esclave, j'ai arrêté de faire le Service Man, ça payait bien à l'époque, on touchait beaucoup de bonne main. Et donc j'ai pu démarrer dans la vie professionnelle sans une dette. J'ai pu payer tous mes outils et quand j'ai ouvert mon garage en 1978 le 1 novembre, tout était payé. J'ai démarré tout seul dans mon petit box à Tartegnin et j'avais des clients fabuleux que j'ai toujours d'ailleurs, c'était des vignerons, des paysans, c'était les meilleurs clients qui puissent exister pour un artisan, parce que l'on sait qu'on sera toujours payé. Voilà un peu comme cela a débuté. Dans ce petit garage et cela a pris de l'ampleur, j'ai eu un apprenti, un mécano, on a vendu plus de voitures et comme c'était toujours un petit garage, je prenais la moitié du village, j'avais des voitures parquées dans tout le bled. Cela commençait un petit peu à rouspéter, mais ils ont toujours été gentils avec moi à Tartegnin, je dois le dire. C'est fabuleux d'avoir une commune qui t'aide, ils ne m'ont jamais mis les bâtons dans les roues.
J'ai alors eu l'opportunité de reprendre un garage qui était en faillite à Rolle. C'était un rêve en fait, avoir un garage aussi grand. Mais je regrette tout de même le temps de Tartegnin, c'était le bon temps.


Depuis 1993 vous exploitez à Rolle un complexe nommé "Auto Passion", quelle est votre stratégie ?
Ça a toujours été de privilégié le service après-vente, l'accueil familial, c'est surtout ça parce que, comme je l'ai dit, je travaille avec mon épouse et ma fille aînée Stéphanie qui s'occupe de toute la gestion, de la réception, des clients, donc il y a toujours un patron dans la maison. J'ai un vendeur qui a aussi notre façon de travailler et qui est un peu comme un fils aîné. Donc à ce niveau là, c'est vraiment une entreprise familiale.
On essaye de faire de la proximité, c'est-à-dire que je n'ai pas envie d'aller chercher des clients à Lausanne ou à Genève en faisant de la publicité qui coûte et qui ne sert à rien, si ce n'est à attirer des clients bons marchés.
Je suis assez à cheval sur la qualité du travail et je dois dire que des fois c'est assez difficile d'avoir le personnel qui suit ce que tu as envie de faire. Il y a des fois des laisser aller et c'est ce qui m'énerve le plus.
Maintenant ma stratégie: elle a changé au niveau de la vente de la voiture automobile, c'est devenu déplorable, ce n'est plus vivable la manière dont on vend les voitures. En plus de ça si on gagnait de l'argent quand on les répare, ça serait bien, mais on n'en gagne bientôt plus avec les rabais qu'il faut faire sur les accessoires, sur les pneus, sur les batteries, sur tout.
Pour finir, on est entrain de scier la branche sur laquelle on est assis. En plus nous ne sommes pas très bien assis dessus ces 10 dernières années.
Je pense que ceux qui ont eu des garages il a 30 - 40 ans en arrière, ceux-là ont fait de l'argent. Mais ici le marché de l'automobile me fait très très peur. Avec les centres automobiles qui sont en train de se construire, cela va réunir beaucoup de marques ensemble, mais où est la proximité, l'accueil, le service nickel et personnalisé ? Il n'y a que nous, les petits, qui pourront encore le faire, dans un grand garage ce n'est pas possible. Je pense qu'il y du souci à se faire. Je suis en souci personnellement parce que l'automobile ne va pas dans le bon sens.
Surtout ce qui n'est pas normal: quand on vend une voiture on gagne moins qu'en vendant 4 jantes en alu ou 4 amortisseurs. Donc à mon avis il y a un malaise.

Vos principales qualités ?
C'est difficile à dire les qualités que l'on a soi-même. Je peux dire que je suis persévérant, que je n'ai jamais baissé les bras, que je suis un gagneur. J'ai envie d'être le premier, c'est dans ma nature depuis tout gamin. Quand j'étais petit, par exemple à l'école, c'est moi qui lançais le boulet le plus loin, c'est moi qui courrais le plus vite. Je me suis toujours fixé des limites à la limite de ma personne. Souvent je pense que je me suis un peu détruit la santé de vouloir toujours trop faire. Je commence beaucoup de choses, j'ai beaucoup d'idées, j'ai mon cerveau qui travail très rapidement. Dans ce sens je réfléchis à long terme, toujours très loin et c'est une qualité. Je suis fidèle et très famille, c'est une qualité d'être famille de s'occuper de ses enfants et de ses parents. Je suis honnête avec moi-même et avec les autres. Je suis très respectueux.

Vos défauts ?
Je suis impulsif, c'est-à-dire que j'aboie fort mais je ne mords pas. J'explose et ensuite c'est oublié. Il faut que ça sorte d'une manière ou d'une autre, si tu gardes tout dedans, tu as le trou à l'estomac. Alors je me dis autant faire une bonne gueulée et après tu oublies. Je ne suis pas rancunier. Par contre, je suis un peu bordélique dans ma sphère à moi, c'est à dire que je commence tout, j'ai des idées extraordinaires et des fois je n'arrive pas à aller au bout de mes idées, c'est en stand-by.
Je pense que mon plus grand défaut, là ça doit énerver ma femme, c'est du style "on fait quoi pour la fête à grand-papa, etc., tu organises quoi…" et une heure avant, je ne sais encore pas. Je suis un type qui est long à la décision quand ça ne l'intéresse pas vraiment. Parfois je prends des décisions oú tout le monde me dit, mais t'es complètement malade, tu n'a même pas réfléchi. Ce n'est pas vrai, c'est eux qui n'ont pas eu le temps de réfléchir, moi mon cerveau a déjà réfléchit.
C'est un peu mon état, je suis comme ça. Je pense que ça doit faire partie de mon signe qui n'aime pas faire du mal. Je laisse couler et tout d'un coup si je prends une décision, il faut que ça saute.


Si vous aviez un souhait à réaliser ?
Oh ! Tout de suite comme ça. Ce serait, de revenir 50 ans en arrière dans un petit chalet, un mayen oú il n'y a pas de natel, pas de fax, par d'ordinateur, vivre naturellement, avec des produits supers. Réapprendre à marcher et à regarder la nature, à respirer, à être cool, oublier le quotidien, la folie des gens, la fureur, les tueries, le vol et tout ce que l'on voit maintenant.
Moi j'ai peur de ce qui se passe dans notre région maintenant. Cela ne faisait pas partie de ma vie avant. Il n'y avait qu'à Lyon qu'on cassait des vitrines, qu'on volait. Maintenant c'est devant chez toi. Quand on entend qu'il y a des gens qui n'osent plus sortir la nuit !
Mon plus grand souhait ce serait ça, me retrouver dans un petit chalet, avec la bougie, le feu de bois qui craque.
Ce serait fabuleux ça.

Interview fait le 27 février 2004, par Stéphane Cuénez



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